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mercredi 19 octobre 2016

Comment la Russie a réussi à construire une imposante église orthodoxe au pied de la tour Eiffel

Billet d'humeur journalistique :


".... la dame de fer a une nouvelle compagne ...!!!"





Info Huffington Post
Comment la Russie a réussi à construire une imposante église orthodoxe au pied de la tour Eiffel
Ce "centre spirituel et culturel orthodoxe" en plein cœur de Paris, voulu par la Russie depuis 2007, apparaît aujourd'hui comme un cadeau empoisonné.
Cinq immenses dômes enluminés à l'aide de 90.000 feuilles d'or, plus de 4000 m² de pierres et d'espaces verts, entre la tour Eiffel et le musée du quai Branly d'un côté, et l'esplanade des Invalides de l'autre. Sorti de terre sur les majestueux quais de Seine de Paris, sur le terrain des anciens locaux parisiens de Météo France, le tout nouveau "centre spirituel et culturel orthodoxe" russe peut difficilement passer inaperçu.
L'inauguration de l'espace culturel, avant la consécration religieuse de sa cathédrale attendue en décembre, doit avoir lieu mercredi 19 octobre à midi, malgré l'absence de Vladimir Poutine. Le président russe, qui devait initialement patronner l'événement, a annulé sa visite en France après les déclarations de François Hollande sur les "crimes de guerre" soutenus par la Russie en Syrie.

Une architecture imposante en plein Paris
Son désistement ne devrait pas pour autant gâcher la fête. Pour représenter la fédération de Russie, le ministre de la culture Vladimir Medinski ainsi qu'un responsable religieux, issu du Patriarcat de Moscou, auront la primeur de la découverte des lieux. L'ambassadeur russe en France, Alexandre Orlov, figure aussi sur la liste des invités. Aucune autorité française n'a en revanche été annoncée.
L'édifice, fruit du rapprochement franco-russe des premières années du quinquennat Sarkozy, détonne aujourd'hui en plein cœur de Paris, à quelques kilomètres de l'Institut du monde arabe, auquel Jean Nouvel et ses collègues architectes ont donné une façade comparativement épurée, géométrique, presque pudique. La cathédrale russe a été entièrement financée par la Russie, à hauteur de 170 millions d'euros (alors même qu'il existe en Russie une séparation des Églises et de l'État).

Wilmotte & Associés Architectes

L'ancien maire de Paris Bertrand Delanoë avait mis son veto au projet architectural initial, pourtant sélectionné parmi 444 dossiers lors d'un concours international, et qui envisageait déjà l'installation de cinq bulbes dorés en haut de l'édifice. L'élu avait alors regretté une "architecture de pastiche" avec "une ostentation tout à fait inadaptée au site des berges de la Seine classé au patrimoine mondial de l'Unesco".
L'architecte Jean-Michel Wilmotte, bien connu à Moscou pour y travailler régulièrement, hérite finalement du projet de la nouvelle cathédrale de la Sainte-Trinité en 2013. Malgré son grand dôme culminant à 37 mètres, une hauteur contrainte par les règles d'urbanisme, ce nouveau projet se veut plus discret.

Wilmotte & Associés Architectes

"Nous avons souhaité utiliser la pierre de Bourgogne, la pierre qui est toujours utilisée pour les façades, avoir le minimum de signes à l'extérieur du bâtiment, avoir un bâtiment assez monolithique", explique ainsi Jean-Michel Wilmotte à France Culture. "J'ai pensé que cinq bulbes avec un or très vif auraient été très violents, c'est pour cela que j'ai proposé d'utiliser un or mat, qui a la couleur de la pierre au soleil, très discret et très élégant."
Face aux remarques déjà formulées sur l'envergure du bâtiment, Jean-Michel Wilmotte réfute tout impérialisme: "on ne nous a pas demandé d'écraser, d'être voyants, d'être bling bling, on est dans la discrétion, dans l'élégance et dans la sobriété."
Négocié en pleine lune de miel franco-russe
Pour Jean-François Colosimo, historien des religions et spécialiste de l'orthodoxie, ce centre est toutefois "typique de la représentation que se fait d'elle-même l'Église russe": "Depuis un siècle, les orthodoxes -à l'initiative des émigrés russes (regroupés dans l'archevêché de Saint-Alexandre-Nevsky, rue Daru à Paris, lié quant à lui à Constantinople, ndlr)- s'intègrent en France. Et là on assiste à un acte de puissance en vue d'affirmer la russité sur les bords de la Seine", explique-t-il.
Le spécialiste voit dans la construction d'un tel édifice, non loin de l'Élysée et du ministère des Affaires étrangères, une opération "d'affirmation démonstrative" de la part du Kremlin. Le projet apparaît comme une démonstration de force de Dmitri Medvedev et Vladimir Poutine, qui tient à ce projet "comme à la prunelle de ses yeux", comme le confiait un observateur au JDD en 2012.
Négocié en 2007, en pleine lune de miel franco-russe et moins de deux ans avant le début des discussions pour la vente de navires Mistral à la Russie, le projet a été préféré à celui d'une mosquée, porté par l'Arabie saoudite.
"À l'époque, les relations franco-russes étaient très chaleureuses", explique Galia Ackerman, historienne et spécialiste du monde russe, interrogée par Le HuffPost. "Nicolas Sarkozy était conscient que le projet d'une mosquée sur les quais de Seine ne plairait pas dans son propre camp, qui exprime plus de sympathie à l'égard de la Russie", poursuit-elle. "C'était de la Realpolitik", abonde dans Le Monde Jean de Boishue, à l'époque conseiller du Premier ministre François Fillon. "On sentait chez le président une envie très forte de satisfaire les Russes (...) Beaucoup de gens étaient pour, notamment à droite et dans les milieux d'affaires", précise-t-il.
Un système d'écoute dans la cathédrale?
La paroisse orthodoxe du Patriarcat de Moscou était à l'étroit dans son église du 15e arrondissement de Paris, un ancien garage, d'autant que sa communauté a grossi au gré de l'immigration, russe mais aussi roumaine ou moldave. "Les jours de grande fête, les gens ne peuvent même pas entrer dans la paroisse", explique à Vanity Fair l'évêque Nestor, futur maître des lieux au quai Branly.
"On peut lier ce projet à des besoins pastoraux, mais aussi au désir vraisemblable de la Russie de présenter une vitrine culturelle à Paris en dehors de son ambassade", analyse l'essayiste et prêtre orthodoxe Christophe Levalois, interrogé par l'AFP.
Plus qu'une ambassade russe délocalisée, la cathédrale du quai Branly pourrait même en être une succursale. L'endroit possède en effet un statut diplomatique, accordé par la justice française, qui le rattache directement à l'ambassade russe à Paris. Ce statut installe une immunité diplomatique et un principe d'inviolabilité au sein de l'édifice, qui interdit par exemple toute perquisition ou saisie de biens entre ses murs.
Pour Galia Ackerman, c'est une première pour un centre culturel en France. "Ce statut ravive la hantise des services de sécurité français, qui craignent de voir s'installer un centre d'écoutes au sein de la cathédrale", explique-t-elle. À la différence de l'ambassade, située à la périphérie du 16e arrondissement de la capitale, le centre culturel a été érigé à un endroit stratégique. "Si les Russes installent des systèmes d'écoute, la France ne pourra rien y faire", continue la spécialiste.
Ces soupçons ne manquent pas de faire rire Moscou. Dans un entretien au JDD, l'ambassadeur Alexandre Orlov cite Vladimir Poutine ("Vous pourrez venir visiter, il n'y a aucune antenne") avant d'ajouter: "Nous avons prévu une petite porte dans chaque bulbe pour la maintenance. Les curieux pourront toujours se rassurer en constatant par eux-mêmes qu'il n'y a rien dedans."
Un cadeau empoisonné
Négocié dans un temps différent des relations franco-russes, ce centre apparaît désormais comme un cadeau empoisonné. "Aujourd'hui on est en plein refroidissement, et en fait la France est certainement le pays d'Europe qui traite le plus durement la politique de Vladimir Poutine, que ce soit en Ukraine, en Crimée, en Syrie, explique Jean-François Colosimo. Donc ce projet d'hier, qui était en quelque sorte la dot, le cadeau de mariage, eh bien il devient inutile, marginal, périphérique voire un peu embarrassant."
Cette implantation ne fait pas non plus que des heureux parmi les orthodoxes d'origine russe en France. Ceux liés à l'archevêché de la rue Daru à Paris, qui dépendent du patriarcat de Constantinople, peuvent voir d'un mauvais œil cette extension du territoire de l'Église de Moscou, jugée plus conservatrice et nationaliste, et sur laquelle Vladimir Poutine n'a cessé de s'appuyer dans son exercice du pouvoir.
Galia Ackerman craint un projet "d'embrigadement" et de "propagande" des diasporas russes dans ce centre culturel-cathédrale qui comportera également un pôle éducatif et des salles de classe. Elle relativise toutefois la portée de l'inauguration de mercredi. "Vladimir Poutine voulait arriver en tsar, en bienfaiteur, comme à l'époque du pont Alexandre-III (dont la première pierre fut posée par le tsar Nicolas II de Russie et le président français Felix Faure en 1896, ndlr)." Avec les hésitations de François Hollande, "une partie du plan du Kremlin n'a pas abouti".

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